Méthodologie en investigation criminelle
Introduction : la philosophie de l’enquête
L’investigation criminelle est une discipline de l’esprit. Elle repose sur le postulat qu’un problème est insoluble tant qu’il reste complexe.
La méthode consiste à déconstruire cette complexité pour la simplifier jusqu’à faire apparaître l’évidence.
Pour y parvenir, l’esprit doit tendre vers un état de pure rationalité.
Neutralité émotionnelle : toute émotivité (amour, haine, dégoût, empathie) est ôtée du processus.
L’analyse exige un esprit austère, précis et entièrement rationnel.
Clarté mentale : vider son esprit de tout préjugé, de toute distraction et de toute hypothèse préconçue est un mécanisme fondamental.
L’imagination n’intervient que pour structurer les faits, jamais pour les créer.
Déterminisme causal : il s’agit d’intégrer la conviction qu’une réalité, quelle qu’elle soit, a au moins une implication. Un objet se trouvant à une place spécifique implique une conséquence. Le hasard est une impression due à une incompréhension. Le travail d’investigation consiste à remonter la chaîne de causalité.
Partie 1 : le triptyque logique de l’investigation
La résolution d’une affaire progresse à travers trois modes de raisonnement distincts et complémentaires. Aucune de ces techniques ne peut être mise en œuvre sans une collecte exhaustive d’informations via des observations approfondies.
1.1. L’induction : de l’observation à la règle générale
L’induction est une constatation factuelle. Elle part d’un cas particulier pour établir une règle générale probable.
Processus : observation de faits → formulation d’une règle générale.
Exemple : ceci est une blessure au couteau, il y a du sang, donc (constatation) les blessures au couteau saignent.
Rôle : elle fournit les prémisses de base sur lesquelles l’enquête peut s’appuyer. C’est l’accumulation de faits bruts.
1.2. L’abduction : de l’effet à la cause possible (l’hypothèse)
L’abduction est le moteur créatif de l’enquête. Sans un minimum d’hypothèse de départ, une investigation tourne en rond. C’est une inférence vers la meilleure explication possible, mais non certaine.
Processus : constatation d’un résultat (un indice) + invocation d’une règle générale (issue de l’induction ou de la connaissance) → formulation d’une hypothèse sur la cause.
Exemple : (règle) toutes les blessures au couteau saignent, (résultat) il y a du sang sur la scène, donc (hypothèse) il doit s’agir d’une blessure au couteau.
Rôle : elle génère des pistes d’enquête. La conclusion est une probabilité qui demande à être vérifiée. Dans le syllogisme abductif, la prémisse majeure est certaine, mais la mineure (l’indice observé) n’est qu’un élément probable de la conclusion.
1.3. La déduction : de la règle au résultat attendu (la vérification)
La déduction est la vérification logique et rigoureuse. Elle part d’une règle générale et d’un cas avéré pour en prédire la conséquence avec certitude.
Processus : application d’une règle générale à un cas spécifique → conclusion logique.
Exemple : (règle) toutes les blessures au couteau saignent, (cas) ceci est une blessure confirmée au couteau, donc (conclusion) il doit y avoir du sang.
Rôle : elle valide ou invalide les hypothèses formulées par abduction. C’est l’assemblage final des éléments vérifiés qui amène à la certitude.
« Émettre une théorie avant d’avoir toutes les preuves est une erreur capitale, cela fausse le jugement. »
Partie 2 : la collecte et l’analyse de l’information
L’esprit ne peut résoudre un problème que s’il dispose d’éléments solides. Le défi est d’acquérir l’information utile au milieu d’un bruit de fond massif.
2.1. L’art de l’observation
L’observation est une compétence qui s’entraîne. Il ne s’agit pas de regarder, mais de voir. Pour voir, il faut savoir quoi chercher. « Comment avez-vous vu cela ? Parce que je le cherchais. »
Vision globale et anomalie : pour voir ce qui ne fonctionne pas (l’anomalie), il faut déjà savoir comment la situation devrait fonctionner normalement.
La logique de l’objet : les individus ont leur propre logique, souvent irrationnelle. Les objets, eux, suivent une logique physique et causale. En cas de doute, il convient de privilégier la logique de l’objet.
La continuité : un détail isolé ne sert à rien. Une trace n’existe que si elle en appelle une autre. L’investigation cherche une continuité, une chaîne logique de traces.
2.2. La scène de crime : le témoignage silencieux
La scène de crime est régie par le principe de l’échange de Locard :
« Où qu’il aille, quoi qu’il touche, quoi qu’il laisse derrière lui, même inconsciemment, sera un indice silencieux contre lui. […] Les indices matériels ne peuvent se tromper; ils ne peuvent faire de faux témoignage; […] Seule leur interprétation peut être erronée. »
Techniques d’examen :
Sols et murs : un examen systématique de ces surfaces est mené à la recherche de projections, de traces de pas ou de frottements.
Vérification de fouille : pour savoir si une pièce a été fouillée discrètement, il est possible de passer la main sur le haut d’une armoire ou d’un cadre de porte. L’absence de poussière ou une trace nette trahit un passage récent.
Analyse des taches : l’identification de leur nature (sang, fluide, produit chimique) et de leur morphologie (projection, écoulement, contact) permet de reconstituer une action.
2.3. L’observation humaine : décoder le sujet
Il est difficile de se servir quotidiennement d’un objet sans y laisser une trace de sa personnalité. Il en va de même pour le corps humain.
Ordre d’observation :
Les mains : elles peuvent révéler le métier, les habitudes, le niveau de stress. Il faut observer la propreté des ongles, la présence/absence d’alliance (et sa trace), les callosités, les tics (doigts rongés).
Les chaussures et les genoux : ils peuvent indiquer les lieux fréquentés, le niveau de soin, et parfois une activité (traces de terre, usure spécifique).
Les vêtements : manches, poches, état général.
Le visage et le regard.
Analyse du regard (attention sujet soumis à de nombreuses controverses):
Fuite/détournement : peut indiquer le mensonge, la gêne, l’incertitude (surtout regard vers la gauche).
Regard vers le sol : peut indiquer la soumission, un manque de motivation, la tristesse (bas à droite : sentiment d’échec).
Regard vers le ciel : peut indiquer l’exaspération, la nervosité, la triche (en haut à droite : ambition ; en haut à gauche : imagination, caprice).
Regard fixe sur un objet : peut indiquer l’ennui ou une tentative de dissimulation de ses pensées.
Dialogue sans les yeux : peut impliquer une simulation, un déguisement émotionnel.
Partie 3 : concepts clés de l’analyse criminelle
Ces outils permettent de structurer l’analyse et d’orienter l’enquête de manière scientifique.
3.1. Résumé criminologique
Il s’agit d’une synthèse concise des aspects criminologiques essentiels d’une affaire. Il répond aux questions : quoi (nature du crime), qui (caractéristiques de la victime et de l’auteur présumé), où, quand, comment (modus operandi) et pourquoi (mobile suspecté). Ce résumé sert de document de référence pour orienter le profilage et les stratégies d’enquête.
3.2. Typologie du crime
La classification du crime selon sa nature profonde. On distingue principalement :
Crime instrumental : le crime est un moyen pour atteindre un autre but (ex: vol, meurtre pour éliminer un témoin). L’acte est souvent planifié et rationnel.
Crime expressif : le crime est le but en soi. Il est le résultat d’une pulsion, d’une émotion intense (rage, jalousie). L’acte est souvent désorganisé et motivé par une charge affective.
Crime prédateur : le crime est lié à une satisfaction paraphilique ou de domination (ex: crimes sexuels en série).
Identifier la typologie aide à comprendre la psychologie de l’auteur et à anticiper ses comportements.
3.3. Victimologie
L’étude de la victime est cruciale pour comprendre le processus qui a mené au crime.
Profil statique : caractéristiques immuables de la victime (âge, genre, origine ethnique, profession). Ces facteurs peuvent la placer dans un groupe à risque statistique.
Profil dynamique : choix de vie, habitudes, routines et comportements qui peuvent augmenter son exposition au risque (ex: fréquenter certains lieux, avoir des addictions).
Profil relationnel : analyse de son cercle social, familial et professionnel pour identifier conflits, fréquentations, liaisons, ennemis potentiels.
3.4. Analyse de risque différentielle
Cet outil prolonge la victimologie. La question n’est plus « pourquoi cette personne a-t-elle été ciblée ? » mais « pourquoi cette personne, à ce moment précis et dans ce lieu précis, et pas une autre personne aux caractéristiques similaires ? ». L’analyse compare le profil de la victime et ses actions juste avant le crime avec ceux d’un groupe de contrôle (personnes qui n’ont pas été victimisées). Cette analyse permet d’isoler le facteur déclenchant, le détail qui a rendu cette victime « idéale » pour l’agresseur.
3.5. Conscience forensique
La conscience forensique désigne le niveau de connaissance de l’auteur des techniques d’investigation scientifique et les actions qu’il entreprend pour contrer leur efficacité.
Niveau faible : l’auteur laisse de nombreuses traces (empreintes, ADN, fibres). La scène de crime est « riche ».
Niveau élevé : l’auteur porte des gants, des sur-chaussures, nettoie la scène (usage d’eau de Javel), brûle le corps ou le véhicule, utilise l’arme de la victime. Une scène de crime « propre » n’est pas une absence de preuve, c’est la preuve d’un auteur méticuleux et doté d’une haute conscience forensique. L’absence d’indice devient un indice en soi.
Conclusion : la synthèse logique
Le travail final est une synthèse logique. Il ne s’agit pas d’imaginer, mais de déduire. Après avoir collecté, trié et vérifié les informations, il faut trouver le fil conducteur qui relie tous les faits en une narration cohérente et unique. Il faut exclure l’impossible pour que ce qui reste, aussi improbable soit-il, soit la vérité.
L’erreur est de tordre les faits pour qu’ils correspondent à une théorie. La méthode correcte est d’ajuster sans cesse la théorie pour qu’elle corresponde à tous les faits. Ce que cherche l’investigation est donc une continuité.