La guerre de 100 ans
« Voyez-vous ces feux qui dansent dans la plaine ?
Ce sont des lumières-fantômes allumées pour nous égarer. »
Chronique anonyme, été 1346
« Le renseignement pendant la guerre de Cent Ans »
Introduction
La guerre de Cent Ans, qui oppose les rois de France et d’Angleterre entre 1337 et 1453, est souvent résumée à quelques grandes batailles – Crécy, Poitiers, Azincourt – et à des figures célèbres comme Jeanne d’Arc.
Or, derrière les charges de cavalerie et les sièges interminables, se joue un autre affrontement : la collecte, la circulation et la manipulation de l’information.
C’est ce « deuxième front », moins visible mais décisif, que nous allons parcourir.
Tout commence par un imbroglio dynastique.
En 1337, Édouard III Plantagenêt réclame la couronne de France au nom de sa mère, dernière fille des Capétiens. Philippe VI de Valois refuse.
Sous la pression des barons français, la couronne invoque alors la « loi salique », un ensemble de coutumes mérovingiennes ressorti des archives : il interdit explicitement la transmission du trône par les femmes. Édouard, petit-fils de Philippe IV mais par la lignée maternelle, est donc déclaré inéligible. Pour lui, cette décision n’est qu’un prétexte juridique destiné à écarter la dynastie anglaise.
À cette querelle successorale s’ajoute un second grief, plus concret : la Guyenne. Le roi d’Angleterre y est duc et, à ce titre, vassal du roi de France. Les litiges fiscaux et judiciaires s’y multiplient depuis des décennies. En mai 1337, Philippe VI confisque officiellement le duché, arguant du « manquement aux devoirs féodaux » d’Édouard. Ce geste transforme la dispute dynastique en conflit territorial ouvert : Édouard revendique désormais la couronne et la restitution de ses fiefs, tandis que Philippe entend réaffirmer l’autorité royale sur tout le royaume. La guerre de Cent Ans vient de prendre forme.
Observer pour frapper : les débuts du conflit
En 1346, Édouard III traverse la Manche avec un objectif clair : prendre Calais pour s’assurer une tête de pont permanente.
Pour masquer sa vraie route, il disperse de petits détachements qui allument des feux, lancent des escarmouches et répandent des rumeurs d’un siège imminent de Paris.
Philippe VI déplace le gros de ses forces vers la capitale ; les Anglais profitent du vide laissé autour de la Somme, franchissent le gué de Blanche-Taque, remportent la bataille de Crécy, puis investissent Calais.
La ville devient aussitôt un relais documentaire : les dépêches interceptées en Picardie y sont traduites, résumées et expédiées à Westminster.
L’historien Jonathan Sumption parle de « premier service de renseignement permanent » d’Angleterre sur le continent.
Vendre l’information : trêves, mercenaires et « petites gens »
Après la trêve de Brétigny, signée en 1360, des milliers de soldats démobilisés forment les Grandes Compagnies.
Ces mercenaires louent successivement leurs lances aux deux couronnes et, chaque fois qu’ils changent de camp, ils emportent cartes, mots de passe et effectifs.
Parallèlement, un réseau plus informel se met en place : pêcheurs, aubergistes, muletiers.
Contre quelques pièces ou un privilège, ils comptent les navires dans un port breton, décrivent la garnison d’un bourg flamand ou répètent une rumeur saisie à la veillée.
Mis bout à bout, ces fragments alimentent les états-majors et corrigent les chroniques officielles.
La guerre des papiers
À la fin du XIVᵉ siècle, la vitesse des messages rivalise avec celle des armées.
En France, la chancellerie de Charles VI emploie des « lettres closes » : un alphabet chiffré rudimentaire où chaque voyelle est remplacée par un signe afin de coordonner les garnisons de Guyenne.
En Angleterre, on installe à Londres une « chambre noire » : on ouvre, copie et referme le courrier venu du continent. Des artisans reproduisent les sceaux pour que le pli continue sa route sans éveiller de soupçon.
En Bourgogne, Philippe le Hardi finance un réseau transversal ; les rapports livrés à Dijon mêlent informations exactes et anecdotes douteuses, rappelant qu’un bon service de renseignement doit non seulement collecter, mais aussi filtrer.
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Jeanne d’Arc : Orléans et le contre-espionnage (1428-1429)
Au siège d’Orléans, les Français recourent à de simples ruses :
• des courriers sciemment « perdus » annoncent une attaque au nord ;
• des bateliers ligériens décrivent les rares ponts franchissables et ravitaillent la ville de nuit ;
• des sympathisants à Blois signalent qu’une poterne reste mal gardée à l’aube.
Lorsque Jeanne entre dans Orléans le 29 avril 1429, son exploit militaire couronne plusieurs mois de désinformation patiente. La levée du siège doit autant à la manœuvre tactique qu’au filtrage de l’information.
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Azincourt : le terrain avant les armes (1415)
Revenons brièvement en arrière. En 1415, Henry V marche vers Calais. Ses éclaireurs gallois passent trois jours à arpenter les haies d’Azincourt ; ils mesurent la boue, localisent les fossés.
Le matin du 25 octobre, le roi fait planter des pieux exactement là où doit charger la chevalerie française.
La cavalerie s’enlise, les archers restent protégés : la victoire provient moins de la bravoure que d’un repérage méticuleux du terrain.
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Terminer la guerre : artillerie et renseignement conjoints
Au milieu du XVe siècle, Charles VII s’appuie sur un réseau régulier de messagers. Ses ordonnances combinent texte clair et passages chiffrés.
Les frères Bureau, chefs de l’artillerie, ne déplacent leurs canons qu’après plusieurs reconnaissances nocturnes.
À Castillon, le 17 juillet 1453, ils choisissent un tertre ferme ; les Anglais, mal informés, attaquent de front et subissent la première grande défaite face à des pièces de campagne bien positionnées.
La bataille scelle la fin de la guerre de Cent Ans.
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Conclusion
Crécy, Orléans, Azincourt, Castillon : toutes ces batailles se résument à un instant où l’un des belligérants sait mieux que l’autre.
Sans service encore institutionnalisé, on observe néanmoins l’apparition de relais fixes comme Calais, de codes écrits, d’un financement durable des informateurs.
Autrement dit, les prémices des services de renseignement modernes.
Merci de votre écoute.
Dans le prochain épisode, nous verrons comment ces méthodes évoluent pendant la Guerre des Deux-Roses.
D’ici là, prenez soin de vos sources… et de vos secrets.
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Pour approfondir
• Philippe Contamine, La Guerre de Cent Ans
• Christopher Allmand, The Hundred Years War
• Anne Curry, « Intelligence in the Hundred Years War »
• Alfred H. Burne, The Crécy War
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